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La nouvelle résidence sociale Hector Berlioz à Bobigny, racontée par son concepteur Paul Chemetov

Lancé en 2005 par Adoma, le concours d'architecture pour la démolition-reconstruction d'un des premiers foyers construits en 1959 à Bobigny (93), a été remporté par Paul Chemetov, architecte de renommée internationale.
En lieu et place de l'ancien foyer, une résidence sociale de 244 studios qui vient d'ouvrir ses portes et un Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) de 85 chambres.

En juin 2010, à l'occasion de la pose de la première pierre, Paul Chemetov détaillait son projet et faisait partager ses réflexions sur le logement social.

Extraits :

Sur ce projet, quelle a été votre approche ?

Paul Chemetov :
Les conditions de vie de ces foyers pour travailleurs immigrés célibataires ont considérablement changé, avec le vieillissement de leurs résidants et l’ouverture à un nouveau public. Certes on aurait pu —mais est-ce souhaitable ? — transformer ces habitations. Leurs carcasses, au fond, étaient parfaitement solides, pas trop hautes, équipées de fenêtres. Mais l’agrandissement des chambres se serait heurté à l’insuffisance du foncier.
Les bâtiments sont comme les êtres : vivants. Pour autant, il arrive un moment où on ne peut plus rien pour eux, même si l’on a eu une attitude responsable en prolongeant leur vie par un entretien régulier. En même temps, ils représentent des ambiances dans lesquelles on a vécu durant plusieurs années, et dans lesquelles on a déposé bien plus que des vêtements et des valises… Alors ce projet, c’est aussi une façon de passer le témoin.
La résidence sociale et l’EHPAD sont sur deux parcelles totalement différentes et différenciées.

L’EHPAD est conçue de telle manière que les résidents bénéficieront constamment de la lumière du jour ; ceux en grande difficulté pour se mouvoir pourront profiter de l’animation extérieure depuis leur balcon.
Dans la future résidence sociale Hector Berlioz, on pourra bavarder dans des couloirs dotés d’espaces de belle largeur. Des bancs seront placés, des ouvertures diffuseront de part et d’autre une lumière naturelle, on pourra installer des plantes vertes.
Les studios disposeront de deux fenêtres et la façade, parsemée de petits balcons, sera construite en décalé —évitant ainsi tout vis-à-vis. « Pourquoi ? », me demande-t-on souvent. Pour le plaisir des occupants ! Les bâtiments épais regarderont à l’est, à l’ouest et au sud, restant ainsi ensoleillés aux différents moments de la journée. L’isolation thermique diminuera les charges du foyer actuel, qui en est totalement dénué.
Ce programme est d’un grand luxe, non pas sur le plan financier, même si son coût s’élève à 25M€, mais au niveau de son contenu.

Construire du logement très social implique de fortes contraintes économiques.
Cela implique-t-il une conception d’habitat particulière ?

P.C. : Construire du logement social ne veut pas dire être quelconque, même s’il faut faire attention à ne pas être cher.
Sur le marché actuel, on ne peut malheureusement que constater à quel point les loyers sont exorbitants. Autrefois une famille investissait 15% de ses revenus dans le paiement de son loyer. Sachant qu’aujourd'hui le salaire moyen d’une famille est de 1800€, cela signifierait une participation de 250€ pour se loger. Or on voit bien qu’en réalité, en dehors de l’habitat ancien, l’effort consenti par une famille pour payer son loyer en 2009 est dément.

Sur ces dix dernières années, la hausse des coûts de bâtiments a été de 30% et celle des prix de terrain de 600% ! Cette situation ne peut pas durer.D’autre part, quel est l’objectif d’un logement ? Avant tout être confortable et non suivre les effets de mode.
Les logements proposés aujourd’hui par Adoma sont très confortables. Possédant une kitchenette et une salle d’eau en sus de la pièce principale, leur construction revient extrêmement cher. Si l’on compare à surface égale ce produit, cela équivaudrait à proposer trois salles d’eau dans un trois-pièces.

La surface d’un studio Adoma est déjà de 18 à 23 m2 pour une seule personne. Imaginez d’appliquer proportionnellement cette surface à un trois pièces ! Eh bien, de plus en plus d’opérateurs sociaux commencent à demander la conception de trois pièces de 58 m2 maximum, avec salle de bains équipée d’une baignoire. Vous voyez donc le niveau élevé du confort du studio, sans compter les services (laverie automatique, local vélos, salle animations, etc.) que la résidence sociale offrira.

Vous avez souvent dit « avoir fait du jeune avec du vieux ». Cette fois, cela semble difficile. Quelle empreinte de l’ancien foyer Sonacotra restera dans ce quartier de Bobigny ?

P.C. : Avec ces deux réalisations, on passera à un autre temps. Il est vrai que, malheureusement, rien de l’ancienne structure ne restera. Au départ excentré, ce foyer est devenu au fil du temps le centre d’un quartier extrêmement animé, avec tous les services à proximité : préfecture, mairie, centre commercial. Le tribunal se construit à côté, le tramway passe au pied, le métro est tout près —sans compter son parc qui donne sur le Canal de l’Ourcq. Cet endroit est devenu très chic ! On serait à Paris que l’on n’aurait pas mieux.

Dans cette rue en cul-de-sac furent confinés le consulat d’Algérie, le foyer Sonacotra et, des années plus tard, une crèche.
Cinquante ans après la construction du foyer, les habitants de la future résidence sociale vont occuper une place digne dans la ville. De leur passé ne restera que la présence du consulat d’Algérie… et les arbres du parc. De plus, leur immeuble sera devenu tout petit au milieu des tours avoisinantes de 17 étages. La construction de l’EHPAD concernera tous les habitants vieillissants de la ville touchés par la dépendance ou l’Alzheimer.

Une résurgence du passé aura lieu via quelques logements qui proposeront des cuisines à partager par des groupes de colocataires : anciens résidents âgés du foyer, ou jeunes gens qui redonneront vie à cette tendance.
Quand je rencontre des résidents, ils ne réalisent toujours pas cette prochaine mutation dans leurs conditions de logement, ou alors ils disent que c’est trop beau pour eux. Cela peut traduire la peur de perdre leurs repères : leur chambre de 4,5 m2 était certes toute petite, mais avec le temps elle leur « appartenait ». Il est certain qu’ils ont peu de ressources. Mais même pour le peu qu’ils ont, leurs redevances se situent en-dessous de la valeur du marché. Pour autant, cela constituera pour eux un effort important.
publié le mercredi 19 Septembre 2012, mis à jour le mardi 9 Juillet 2019

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